Guerre d'indépendance turque
La guerre d’indépendance turque (en turc : Kurtuluş Savaşı, « guerre de libération ») est le nom donné aux conflits qui se déroulent en Turquie du au , date de la signature de l'armistice : guerre civile turque puis conflits franco-turc, arméno-turc et gréco-turc, qui opposent la résistance nationaliste turque menée par Mustafa Kemal aux puissances alliées victorieuses de l'Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale, et à l'armée du sultan ottoman.
Date |
– (3 ans, 4 mois et 22 jours) |
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Lieu | Anatolie, Nord de la Mésopotamie, Thrace. |
Casus belli |
Défaite de l'Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale |
Issue |
Victoire turque décisive
|
Mustafa Kemal Pacha Fevzi Pacha Karabékir Pacha Ali Fouad Pacha Ismet Pacha Noureddine Pacha Yakub Chevki Pacha « Topal » Osman Agha Çerkes Ethem (jusqu'en 1920) |
• Anastásios Papoúlas • Geórgios Hatzanéstis • Leonídas Paraskevópoulos • Drastamat Kanayan • Movsès Silikian (en) • Henri Gouraud • Louis Franchet d'Espèrey • George Milne • Somerset Gough-Calthorpe • Charles Harington Harington • Damat Ferid Pacha • Suleiman Chefik Pacha (en) • Anzavur Ahmed Bey (en) |
Batailles
Par leur détermination et leurs victoires face aux Grecs et aux Arméniens, les armées kémalistes contraignent les Alliés à une révision du traité de Sèvres et à une renégociation à travers le traité de Lausanne qui s'y substitue en . La guerre d'Indépendance a pour conséquence de provoquer la chute du sultanat turc et du système ottoman antérieur, lequel est remplacé par la république de Turquie. Ce changement radical de régime, largement préparé par le gouvernement des Jeunes-Turcs des années 1908 et suivantes, constitue une étape déterminante du processus révolutionnaire connu dans les années qui suivront sous le terme de kémalisme.
Histoire
modifierDébuts
modifierÀ l'issue de la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman étant l'un des Empires centraux, se retrouve dans le camp des pays vaincus, comme ses alliés l'Empire allemand, l'empire d'Autriche-Hongrie et le royaume de Bulgarie. Le , le traité de Sèvres, signé entre les alliés et les mandataires du sultan Mehmed VI, ampute l'Empire turc d'une grande partie de ses territoires qui deviennent soit indépendants (Arménie), soit autonomes (Kurdistan turc), soit sont placés sous l'influence et l'occupation des puissances victorieuses (accords Sykes-Picot).
Ainsi, les régions arabophones du Proche-Orient s'émancipent et sont placées pour certaines d'entre elles, sous mandat de la Société des Nations qui les confie à la France (Liban et Syrie) et au Royaume-Uni (Irak et Palestine). Les vilayets de Van, Bitlis, Trébizonde et Erzurum doivent être intégrés à la république indépendante d'Arménie, la détermination de la frontière étant soumise à l'arbitrage du président américain (articles 88 à 94 du traité). Un « territoire autonome des Kurdes » englobant le Sud-Est de l'Anatolie est constitué (articles 62 à 64 du traité) puis placé sous zone d'influence française pour la partie occidentale et britannique pour la partie orientale.
De plus, d'autres zones d'influence sont octroyées :
- aux Français : la Cilicie, jusqu'au nord, bien au-delà de Sivas ;
- aux Italiens : la ville d'Antalya et toute la région avoisinante, ainsi que le Dodécanèse et une zone d'influence allant de Bursa à Kayseri, en passant par Afyonkarahisar.
- aux Grecs : la ville de Smyrne et l'Ouest de l'Anatolie, la Thrace orientale (qui comprend Andrinople et Gallipoli) jusqu'à la Maritsa et les îles.
Enfin, Constantinople, les côtes de la mer de Marmara et les Dardanelles sont démilitarisées. Les détroits sont placés sous le contrôle d'une commission internationale.
Il ne reste à l'Empire ottoman que 783 562 km2 kilomètres carrés (soit environ 23 % des 3 400 000 km2 d'avant la guerre)[15], et un système de « garanties » vient limiter sa souveraineté sur ce territoire restant et notamment sur les détroits stratégiques du Bosphore et des Dardanelles. Entre autres, les finances du pays doivent être administrées par des commissions étrangères, et une grande part des ressources doit être affectée en priorité aux frais d'occupation et au remboursement des indemnités dues aux Alliés. Des commissions sont aussi créées afin de dissoudre intégralement l'armée ottomane pour la remplacer par une force de gendarmerie. Par ailleurs, la police, le système fiscal, les douanes, la poste, les eaux et forêts, la flotte marchande, les écoles privées et publiques doivent être soumis au contrôle permanent des Alliés.
Le sultan Mehmed VI, voyant son autorité s'effriter, met à prix la tête de Mustafa Kemal Pacha dont la popularité ne cesse de grandir en raison de son refus intransigeant de ce traité. Dès lors, Mustafa Kemal considère le sultan comme une marionnette des Alliés et propose l'abolition du régime monarchique. Les nouveaux députés élus lors d'un scrutin organisé par Mustafa Kemal se réunissent à Ankara et le , un nouveau pas vers la république de Turquie est accompli avec la fondation de la Grande assemblée nationale de Turquie (Türkiye Büyük Millet Meclisi). Le , un Comité exécutif est élu et déclare que le nouveau parlement est le gouvernement légal et provisoire du pays, lequel refuse alors catégoriquement les clauses du traité de Sèvres. Menacé, le sultan signe avec les Alliés un accord secret plaçant l'Empire ottoman tout entier sous mandat britannique et stipulant que le sultanat « met la puissance morale et spirituelle du Califat au service du Royaume-Uni dans tous les pays musulmans où s'exerce son influence »[16].
Le sultan, relayé par les hodja et les religieux, exhorte alors les Turcs à prendre les armes contre les nationalistes de Mustafa Kemal, présentés comme les « ennemis de Dieu ». L'inévitable guerre civile éclate dans toute sa brutalité. À Konya, les loyalistes arrachent les ongles et écartèlent les partisans de Mustafa Kemal. En représailles, les notables de la ville sont pendus publiquement par les forces kémalistes.
Au début, les nationalistes essuient plusieurs défaites, et l'armée du Sultan se rapproche d'Ankara, siège du nouveau parlement. Des désertions ont lieu dans les troupes de Mustafa Kemal. Ce dernier se voit contraint de se replier. Des militaires nationalistes qui devaient reprendre la ville d'Hendek aux loyalistes, fraternisent avec ceux-ci. Quelques jours plus tard, une division kémaliste entière est exterminée par l'Armée du Calife qui vient de conquérir une douzaine de grandes villes turques. Une mutinerie éclate au sein d'une milice kémaliste qui passe sous le contrôle du sultan. De son côté le général kémaliste Kâzım Karabekir a du mal à tenir son armée.
Face à l'avancée des forces gouvernementales, Mustafa Kemal se replie avec ses gardes du corps dans les bâtiments d'une ancienne école d'agriculture, où il vit en état d'alerte permanente, pour se protéger des agents du sultan voulant l'assassiner.
Mais à mesure que les clauses du traité de Sèvres, signé l'été 1920 et qui consacre le dépeçage de l'Empire, sont connues (et aussi à mesure que les armées alliées et les Commissions de contrôle prennent position dans le pays), le gouvernement du sultan perd le soutien des Turcs qui sont de plus en plus nombreux à se tourner vers les nationalistes. Le mouvement s'inverse, et les soldats de l'Armée du Calife décident l'arrêt des combats. Mustafa Kemal amnistie tout militaire qui se joindrait (ou qui reviendrait) à lui, charge ses généraux d'organiser la défense nationale et constitue un gouvernement de « salut public ». L'Armée du Calife se désagrège d'elle-même et l'on assiste dans certaines unités à des violences où des chefs se font égorger par leurs propres hommes qui estiment avoir été trahis. Début , elle a pratiquement disparu, sauf à Izmit où elle sert de couverture à la garnison britannique.
La désagrégation de l'Armée du Calife réduit à néant le pouvoir du sultan en Turquie, met fin à la guerre civile et inaugure les débuts de la guerre d'indépendance contre les troupes d'occupation.
Au début, Mustafa Kemal n'est pas le seul chef militaire à combattre pour l'indépendance turque. Un autre groupe notable est le Kuva-yi Seyyare (en) de Çerkes Ethem[17],[18],[19], d'obédience islamo-socialiste.
Événements de la guerre
modifierLa Première bataille d'İnönü (en), en janvier 1921, est la première bataille de l'Armée de la grande assemblée nationale du côté turc. Çerkes Ethem, qui soutenait auparavant le mouvement d'indépendance, refuse désormais de combattre au sein de cette armée — ce qui ne signifie pas qu'il aurait rejoint les Grecs[20],[21],[22],[23].
Fin de la guerre
modifierAprès la défaite de la Grèce, de l’Arménie et de la France (en Cilicie), les Italiens et les Britanniques évacuent eux aussi à leur tour les territoires turcs occupés en Anatolie. La dernière ville libérée de l’occupation des alliées sera Constantinople[24].
Conséquences
modifierLa guerre d'indépendance turque inspire d'autres peuples musulmans à résister à la colonisation[25].
Notes et références
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Annexes
modifierBibliographie
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Liens externes
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