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Chanson réaliste

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La chanson réaliste est un genre musical apparu en France au milieu du XIXe siècle[1]. Elle connaît un premier âge d'or dans les années 1880-1910 dans le sillage du succès de la chanson montmartroise et un second âge d'or pendant l'entre-deux-guerres, grâce au succès d'interprètes principalement féminines comme Fréhel, Damia puis Édith Piaf.

La « chanson réaliste » synthétise différentes influences musicales antérieures, tout en développant un imaginaire singulier autour des marges sociales qui fascinent alors la société de la IIIe République[2]. Héritière des complaintes d'Ancien Régime, de la chanson populaire et révolutionnaire du XIXe siècle, le genre « réaliste » se distingue du reste de la musique légère produite à la même époque (opérette et chanson comique de café-concert) par des textes inspirés de l'univers de la rue parisienne et de ses bas-fonds[3].

Les thèmes récurrents de ces chansons traitent de sujets dramatiques empreints d'une noirceur certaine. Leurs personnages sont généralement prisonniers de leur misère, de leur condition sociale (basse), de leur passion amoureuse...

Aristide Bruant est considéré très tôt comme le principal initiateur du genre réaliste, par la critique de spectacle, qui compare volontiers ses chansons aux chansons sociales et révolutionnaires que Pierre Dupont, proche de Gustave Courbet et de Charles Baudelaire au moment où ceux-ci cherchaient à théoriser le « réalisme » en peinture et en poésie, a composées dans les années 1848-1850[4]. Aristide Bruant s'inspire des expériences poétiques initiées par les héritiers du Parnasse au cabaret des Hydropathes puis au Chat Noir, en particulier des chansons macabres que composent et chantent Maurice Rollinat, Maurice Mac-Nab et Jules Jouy, avec qui Bruant a véritablement lancé sa carrière d'auteur-compositeur-interprète. À la fin des années 1880, Aristide Bruant fonde son propre cabaret, Le Mirliton, situé à Montmartre, où il s’invente un personnage de cabaretier bourru, chantant en langage argotique le sort tragique de la masse des ouvriers, urbains, née de l'exode rural et de la première Révolution industrielle, des apaches et des filles perdues[5].

Par les reprises de son répertoire par Eugénie Buffet et Yvette Guilbert, le genre commence à se féminiser. Ces deux interprètes se disputent la création du personnage de la « Pierreuse », prostituée des barrières. Les chansons de Bruant se diffusent ainsi au-delà des cabarets artistiques au public choisi, en particulier sur les grandes scènes de café-concert[6]. De plus en plus d’auteurs se mettent à composer des chansons dites « réalistes », comme Gaston Gabaroche, Léo Daniderff, Benech et Dumont, tandis qu’émerge une nouvelle génération d’interprètes qui débutent à la scène dans les années 1910, parmi lesquelles Fréhel[7] en 1905 et Damia en 1912. Ces chanteuses à la voix grave et puissante triomphent en jouant, en vivant leurs chansons qui deviennent alors de véritables mélos.

Entre-deux-guerres

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Après la Première Guerre mondiale, le genre est relancé grâce à la diffusion massive du disque et à la radio. Tandis que Fréhel et Damia triomphent dans ce répertoire sombre, inspirant à leur tour la jeune génération (Édith Piaf débute en 1935 en reprenant le répertoire de ses deux modèles au cabaret Juan les Pins de la rue Pigalle)[8], d’autres artistes commencent à détourner et parodier les excès mélodramatiques des chansons réalistes. Georgius, Mistinguett, Maurice Chevalier reprennent parfois les thèmes et personnages typiques des chansons réalistes en y introduisant de l'humour et de la légèreté (On l’appelait Fleur-des-fortifs, Je cherche un millionnaire, Prosper (Yop la boum)). Dans Je cherche un millionnaire, Mistinguett, dans le genre revue avec bijoux, plumes d'autruches et boys en habit et haut-de-forme, chante la joie qui est celle de vivre dans la ville lumière, et, peut-être un jour, d’épouser un millionnaire. Ainsi, si la chanson réaliste aime à décrire la misère matérielle du peuple, Mistinguett, par opposition, chante le rêve d'une vie facile.

Déclin et postérité

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Le genre réaliste amorce son déclin dès la fin des années 1930, malgré quelques grands succès comme Mon amant de Saint-Jean (Lucienne Delyle) et la présence d'interprète importantes comme Lys Gauty, Berthe Sylva et Suzy Solidor. De moins en moins de chansons sur ces thèmes sont alors composées, mais l’après-Seconde Guerre mondiale voit un léger regain d’intérêt, souvent par la parodie. On peut citer Les Crayons (1945), interprétés par Bourvil, qui reprend nombre des tics de la chanson réaliste. D'apparence à la fois triste et naïve, elle narre en effet l’histoire malheureuse d’une orpheline de Ménilmontant vendant à la sauvette des crayons, séduite par un bourgeois qui l’abandonne une fois enceinte - l'enfant de cette fille-mère subissant à son tour une « destinée fatale ».

Surtout, la chanson réaliste inspire la nouvelle génération d’auteurs-compositeurs-interprètes qui débute dans les cabarets de la Rive Gauche[9]. Tandis qu'Édith Piaf triomphe sur toutes les grandes scènes de music-hall, Juliette Gréco et Barbara font leurs débuts en reprenant certains codes des chanteuses réalistes, notamment le choix de robes noires simples, tout en détournant ironiquement le contenu mélodramatique des authentiques chansons réalistes[9].

Georgette Plana, Georgette Lemaire et Mireille Mathieu quant à elles sont des continuatrices : elles reprennent une partie du répertoire d'Édith Piaf pour débuter leur carrière.

À partir de la fin des années 1970, Renaud reprend les codes narratifs et l'univers de la chanson réaliste. Cependant, il substitue au ton mélodramatique un humour influencé, par exemple, par la bande dessinée, et, à l'amour passionnel la tendresse. Il y ajoute aussi un vrai discours politique et un travail sur la langue, le narrateur montrant qu'il n'est pas dupe de ce qu'il est en train de faire. Marc Ogeret et Monique Morelli sont également des continuateurs importants dans le versant social de la chanson réaliste.

Principaux interprètes

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Bibliographie

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Bibliographie générale

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  • Pierre Brochon, La Chanson sociale de Béranger à Brassens, Paris, Les Editions ouvrières, 1961.
  • Louis Chevalier, Montmartre du plaisir et du crime, Paris, Robert Laffont, 1980
  • Concetta Condemi, Les Cafés-concerts, histoire d’un divertissement (1814-1849), Paris, Quai Voltaire, 1992.
  • Serge Dillaz, La chanson sous la IIIe République (1870-1940), Paris, Tallandier, 1991.
  • Serge Dillaz, La Chanson française de contestation, des barricades de la Commune à celles de mai 1968, Paris, Seghers, 1973.
  • Dominique Kalifa, L'Encre et le Sang : récits de crimes et société à la Belle Époque, Paris, Fayard, , 351 p. (ISBN 2-213-59513-5, présentation en ligne), [présentation en ligne], [présentation en ligne].
  • Dominique Kalifa, La culture de masse en France 1860-1930, Paris, La Découverte « Repères », 2001.
  • Dominique Kalifa, Les bas-fonds : histoire d'un imaginaire, Paris, Éditions du Seuil, coll. « L'univers historique », , 394 p. (ISBN 978-2-02-096762-4, BNF 43522066, présentation en ligne), [présentation en ligne].
  • Mariel Oberthür, Le cabaret du Chat Noir à Montmartre (1881-1897), Genève, Slatkine, 2007.

Bibliographie spécialisée

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  • Natsuko Aoki, Évolutions stylistiques et implications sociales des chansons réalistes en France, thèse de doctorat en Arts plastiques-Esthétique sous la direction de Christian Marcadet, Université Paris 1, 2012.
  • René Baudelaire, La chanson réaliste, Paris, L’Harmattan, 1992.
  • Kelley Conway, Chanteuse in the city. The realist singer in French Film, Berkeley, Los Angeles, London, University of California Press, 2004
  • Audrey Coudevylle-Vue, Fréhel et Yvonne George, muses contrastées de la chanson “réaliste” de l’entre-deux-guerres, Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambresis, thèse de Lettres Modernes-Cantologie sous la direction de Stéphane Hirschi, .
  • Philippe Dariulat, La Muse du peuple. Chansons politiques et sociales en France, 1815-1871, Rennes, PUR, 2010
  • Éliane Daphy, « La gloire et la rue : les chanteurs ambulants et l’édition musicale dans l’entre-deux-guerres », Catalogue de l’exposition « Musiciens des rues de Paris », ATP-RMN, 18 nov. 1997-27 avril 1998
  • Joëlle Deniot, « Elles s’appelaient Rose, Nina, Pauline ou Louise », in DENIOT Joëlle et PESSIN Alain (dir.), Les peuples de l’art t.1, Paris, L’Harmattan, 2005.
  • Joëlle Deniot, « Chanson réaliste, femmes de voix », [en ligne] http://www.chanson-realiste.com/chanson.realiste.femmes.de.voix.htm
  • Joëlle Deniot, « Damia, Fréhel, Piaf ou l’expression d’une plainte », [en ligne] http://www.chanson-realiste.com/article/damia.frehel.piaf.htm
  • Joëlle Deniot, « Sur le fil de la vie, elles ont chanté » [En ligne] http://www.chanson-realiste.com/article/surlefil.delavie.htm
  • Catherine Dutheil Pessin, La chanson réaliste. Sociologie d’un genre. Le visage et la voix, Paris, L’Harmattan « Logiques sociales », 2004.
  • Catherine Dutheil Pessin,« Chanson sociale et chanson réaliste », Cités 2004/3 (n° 19), p. 27-42. DOI 10.3917/cite.019.0027.
  • Marie Goupil-Lucas-Fontaine, « “Le micro est un maquereau”. Le chanteur face au micro, un partenaire particulier (1930-1970) », Hypothèses, vol. 22, no. 1, 2019
  • Marie Goupil-Lucas-Fontaine, «L’espace de la chanson vécue. Cartographier le Paris “réaliste” », dans Page 19, Bulletin des doctorants et jeunes chercheurs du Centre d’histoire du XIXe siècle, n°8 [En ligne], 2019
  • Marie Goupil-Lucas-Fontaine, « Ringard, mélo et populaire : le goût “pervers” de la chanson réaliste (1950-2000) », dans Le mauvais goût. Marginalité. Ambiguïtés. Paradoxes, in Amélie Fagnou et Rémi de Raphélis (dir.), Editions numériques du CHCSC, 2019 [en ligne/https://hal.archives-ouvertes.fr/hal- 02136541].
  • Marie Goupil-Lucas-Fontaine, « Une voix du peuple à la Belle Époque. Eugénie Buffet “cigale populaire” » dans Benjamin Ferron, Émilie Née et Claire Oger (dir.), « Donner la parole aux sans voix » ? Construction sociale et mise en discours d’un problème public, Rennes, PUR « Res-Publica », 2022.
  • Marie Goupil-Lucas-Fontaine, Histoire sociale et imaginaires de la chanson réaliste, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Thèse de doctorat d’Histoire contemporaine sous la direction de Dominique Kalifa, Bertrand Tillier et Sylvain Venayre, .
  • Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’Écluse (1951-1974). Expérience et poétique des variétés, Lyon, PUL, 2016.

Liens externes

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Références

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  1. Selon les recherches les plus récentes : Marie Goupil-Lucas-Fontaine 2022. Elle daterait du début du XXe siècle selon les travaux de Joëlle Deniot, http://www.chanson-realiste.com, cependant Aristide Bruant est en acitvité dans les années 1880/
  2. Dominique Kalifa 2013.
  3. Marie Goupil-Lucas-Fontaine 2022.
  4. Marie Goupil-Lucas-Fontaine 2022., p.64-72
  5. Marie Goupil-Lucas-Fontaine 2022., p. 111-154
  6. Marie Goupil-Lucas-Fontaine, « Une voix du peuple à la Belle Époque. Eugénie Buffet “cigale populaire” » dans Benjamin Ferron, Émilie Née et Claire Oger (dir.), « Donner la parole aux sans voix » ? Construction sociale et mise en discours d’un problème public, Rennes, PUR « Res-Publica », 2022
  7. Audrey Coudevylle-Vue 2022.
  8. Voir notamment, de Joëlle Deniot, http://www.chanson-realiste.com/article/damia.frehel.piaf.htm
  9. a et b Marine Wisniewski, Le Cabaret de l’Écluse (1951-1974). Expérience et poétique des variétés, Lyon, PUL, 2016








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