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Féminisme libéral

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Mary Wollstonecraft, figure du féminisme libéral, peinte vers 1797 par John Opie.

Le féminisme libéral est une catégorie du féminisme définie en premier lieu par la volonté d'atteindre l'égalité des sexes par des réformes politiques et légales, et par l'insistance sur la dimension juridique dans ce réformisme, c'est-à-dire sur le caractère nécessaire et suffisant de l'égalité de droit, dont l'égalité de fait découlerait, plutôt que d'être obtenue de façon révolutionnaire. C'est un féminisme de l'égalité des droits, et plutôt universaliste dans la façon dont il revendique l'égalité.

Philosophie

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La définition du féminisme libéral tel que théorisé au dix-huitième siècle, en même temps que l'idéologie bourgeoise du libéralisme politique, et de notions liées à ce contexte aux plans économique et sociétal, se fonde sur l’idée, répandue à l’époque, que l’égalité légale et civique, qui fonde le libéralisme politique, est la condition suffisante à l’égalité des sexes[1]. La non-violence y est un universel moral jugé plus compatible avec le réformisme qu'avec la sensibilité révolutionnaire, en accord de degré et nature variables avec l'installation puis avec le maintien du système socio-politique et économique libéral, celui historiquement défendu par des travailleurs bourgeois, dont les intérêts s'accordent avec la sensibilité réformiste, et ni avec les idéaux progressistes des classes populaires, ni avec le conservatisme des élites aristocratiques.

Cette tendance est celle des personnalités pionnières de la volonté d'émancipation et d'autonomisation féminines dont la pensée intègre cette préoccupation à un système utopique de société d'inspiration libérale, valorisant l'énergie de chacun dans le cadre d'une concurrence saine et d'une solidarité volontaire, avec des visions parfois divergentes des questions socio-économiques.

Il s'agit d'abord d'un mouvement britannique incarné par Mary Wollstonecraft ou John Stuart et Harriet Taylor Mill, qui se diffuse en France à la faveur du Siècle des Lumières, s'oppose plus tard au féminisme socialiste, en particulier d'inspiration marxiste, et dont les multiples nuances s'opposent aujourd'hui schématiquement en priorité à celles différentialistes des féminismes radicaux, dans le système socio-politique et économique de l'universalisme français ou du libéralisme anglo-saxon.

Ce mouvement est historiquement opposé au féminisme libertaire et anarchiste dans la mesure où il ne juge pas les institutions contraires à la liberté, et il est prédominant dans le mouvement des suffragettes françaises ou britanniques, dans la lutte pour les droits politiques et civiques des femmes, notamment de vote et d'éligibilité, mettant en un sens l'accent sur la sphère publique plus que privée. Sa volonté de changer les choses par les droits politiques strictement égaux et sa conviction que l'égalité juridique complète est nécessaire et suffisante à la rupture féministe s'oppose d'un autre côté à celles et ceux qui mettent l'accent sur la nécessité première d'un véritable respect des femmes au sein de la famille et par un droit familial ou civil plus égalitaire, sans donner priorité immédiate voire en émettant des réserves sur l'égalité civique et citoyenne.

C'est actuellement un féminisme dominant, essentiellement rattaché au mouvement du féminisme néolibéral, et compatible à la fois avec des notions plus ou moins universalistes et individualistes ainsi qu'un système relevant d'aspects du libéralisme sur les plans politique, éventuellement économique et/ou sociétal, ce qui peut entraîner d'assez fortes et complexes scissions internes sur les questions de modèles socio-économiques, de choix et de périmètre des mœurs et manières de vivre à libéraliser, en particulier, entre courants plus proches d'opposés classique et progressiste, dans le contexte contemporain des nouvelles questions et réponses diverses qui traversent et divisent la société. Les positionnements suscitent de multiples divergences entre sensibilités individuelles et configurations idéologiques possibles à partir des systèmes d'opinion sur des sujets divers, qui sont ceux suscitant des différences d'interprétation de la liberté entre féminismes en général, comme les institutions privées et publiques, les modèles et droits sociaux et économiques, le genre et l'orientation sexuelle, l'essence naturelle et l'identité culturelle féminines, le port du voile, la laïcité, les minorités ethno-religieuses, LGBT+, l'homosexualité et les personnes transféminines ou transmasculines, les droits sexuels et reproductifs, le contrôle des naissances et l'assistance médicale à la procréation dont la maternité et la gestation pour autrui, l'hétérosexualité et l'hétérosexisme, le mariage et le couple, la maternité et les parentalités, le travail, le foyer, l'amour libre, la prostitution, la pornographie, le BDSM.

Le féminisme libéral est critiqué (notamment par le féminisme socialiste) parce qu'il est de fait bourgeois, antirévolutionnaire et jugé en fait violent, comme le libéralisme y compris du temps où il incarnait surtout le progressisme politique. Le féminisme libéral souhaite l'égalité des sexes au sein même des catégories bénéficiant de privilèges socio-économiques, il met l'accent sur la nécessité d'égalité salariale et jamais de revalorisation des emplois faiblement rémunérés. Cela s'explique par le fait que ce mouvement est actuellement surtout porté par des femmes cadres[2]. Celles-ci y défendent leurs intérêts, ou le croient, en mettant l'accent sur la classe purement sociale et économique, ou seulement sur l'émancipation des femmes de fait aisées voire sur la libération de femmes demeurant d'un autre côté respectables par rapport au milieu bourgeois lui-même, en en excluant le féminisme intersectionnel et en y voyant des aspects réfutés d'essentialisme dans la volonté de revalorisation incitative des pratiques liées aux supposées compétences féminines, de relativisme, de communautarisme et de repli identitaire ou de collectivisme illibéral. Cela s'associe avec une vision complexe des institutions bourgeoises du mariage et de la maternité, des questions familiales et parentales comme de l'amour libre et des nuances de féminismes pro-sexe ou socialiste et anarcho-libertaire, ainsi que de l'intégration des femmes racisées et précaires, d'orientation sexuelle, d'identité de genre, de mœurs ou d'appartenances socio-culturelles et ethno-religieuses exclues. Tout cela peut en effet aller dans leur intérêt dans la mesure où une femme s'affranchissant radicalement d'aspects sexués ou genrés du féminin, notamment, et de façon proche de l'essentialisme sexiste, pour incarner un modèle plus ou moins admis comme masculin de réussite, et de femme d'exception pouvant s'y intégrer, en endossant ce rôle dominant tout en réfutant l'imbrication des oppressions réduit, et assigne, justement à s'occuper de ses tâches ménagères ou maternelles des personnes, socio-économiquement dominées et mal rémunérées, souvent victimes à des degrés extrêmes de sexisme misogyne, ainsi que de racisme négrophobe ou d'islamophobie par exemple, loin d'idéaux de liberté et d'égalité, de valeurs républicaines et solidaires. Cependant qu'il s'accorde potentiellement avec cette vision, et sans déduire de ces derniers faits de sensibilité essentialiste, le féminisme matérialiste, favorable à l'autogestion responsable d'individus libres et égaux dans le contexte d'une société et de toutes règles sous-jacentes, lui reproche également de ne pas considérer les femmes comme une classe sociale opposée à celle des hommes, y compris pour réfléchir à la façon de combattre et de ne plus perpétuer ou intérioriser les inégalités liées à l'importance du fait économique dont les classes supérieures sont clairement responsables au sein d'elles-mêmes du fait initialement du comportement d'hommes adhérant au cadre de la domination hétérosexuelle et cisgenre masculine.

Le féminisme libéral croit aussi bien au capitalisme économique qu'à la mondialisation des cultures et peut être critiqué dans la mesure où il est jugé impérialiste ou néocolonialiste, souhaitant émanciper par la mondialisation moderne les femmes des pays des Suds, tout en faisant prioritairement participer certaines femmes aux élites d'oppression étatique et gouvernementale. Il n'émancipera jamais les classes ouvrières et racisées selon les féminismes radicaux et relativistes ou sociaux.

Comme le rappelle Alison Jaggar, « [le féminisme libéral] accepte l’idéal libéral d’une société qui maximise l’autonomie individuelle et dans laquelle tous les individus ont les mêmes chances pour poursuivre leurs propres intérêts, tels qu’ils les perçoivent »[3], une égalité relative dans la liberté pro-hiérarchique, le mérite et la compétition, qui inclut dans ce système (valorisant sous conditions de montrer une performance l'émancipation et l'individu) au moins une partie des femmes, parfois seulement des exceptions, en semblant dire clairement que les ou ces femmes peuvent construire cette performance, notamment en adoptant ou assumant des codes masculins et dominants, mais qui, présentant au travers de ces paradoxes une oscillation particulière entre universalisme et essentialisme classiques, exclut d'emblée et n'améliore jamais le destin des personnes victimes d'oppressions supplémentaires, s'il a un effet positif sur le sort des ou de femmes.

Le féminisme libéral tient le système capitaliste actuel pour négatif vis-à-vis des femmes mais juge que les institutions sont perfectibles et que le système capitaliste peut tout-à-fait être conservé avec des réformes visant à l'ajuster à l'émancipation et une participation active de femmes et d'hommes à cette adaptation relative.

Le féminisme plus ou moins superficiel adapté à l'esprit entrepreneurial et au management néolibéraux est critiqué parce qu'il dissout dans la défense profonde du capitalisme l'égalité et l'émancipation collectives ainsi que toute lutte des classes au nom de l'énergie exceptionnelle de figures inspirantes ambiguës ou de femmes puissantes en accord avec la masculinité dominante. Son narratif perpétuant l'oppression, selon certaines théories, se rapprocherait du féminisme pop et de la valorisation des outils technologiques, numériques, scientifiques, s'opposant notamment à l'essentialisme ou universalisme écoféministes.

Le féminisme libéral retient avant tout les principes du libéralisme politique en lien avec l'égalité des sexes, ou précisément l'égalité indifférente au sexe. Il en souhaite l'application aux femmes, comme à tous les hommes. Son but essentiel se structure autour de l'indifférence à l'appartenance sexuelle et genrée pour ce qui est de l'espace public, en lien avec la possibilité donnée aux individus féminins d'investir pleinement celui-ci.

Critiqué pour l'hypocrisie qui consisterait à ancrer sa valorisation de la sphère publique et de l'idéologie libérale capitaliste dans l'universalisme trompeur de l'androcentrisme prétendu neutre, le féminisme libéral l'est aussi pour être de fait plus proche de l'opposition à une philosophie universaliste ou égalitaire, pour ne pas privilégier l'égalité des résultats, et pour juger que l'égalité complète des droits individuels théoriques suffit indéniablement à garantir le bon fonctionnement social, dans lequel il n'est pas non plus problématique ou révélateur d'inefficacité, en rapport avec la justification d'exploitations intersectionnelles, que telle profession soit majoritairement exercée par un sexe (féminin en particulier), puisque même la grille de lecture par appartenance aux groupes sexués au-delà de l'espace privé au sens strict ne serait plus pertinente une fois mené un combat axé sur l'individu et sa liberté de choix, en éludant d'autre part les divers facteurs susceptibles pour des raisons socio-culturelles de l'influencer. Critiqué par les courants radicaux et marxistes, le féminisme libéral admet souvent dans sa logique d'objectifs universels systématiques les quotas et la parité pour les métiers élitistes et de type jugé masculin dont il intériorise la supposée supériorité, tout en cantonnant les métiers moins intellectuels ou rémunérés à des stéréotypes masculins ou féminins, en particulier des femmes victimes de discriminations tendant à s'imbriquer aux métiers situés à l'intersection invisibilisée des sphères publique et privée, sous prétexte que leur autonomisation impliquerait dans les faits si l'égalité juridique est complète des décisions socio-économiques d'orientation prises par des individus déjà isolés de leurs appartenances initiales, même si cette idée ne garantit pas non plus dans tous les courants la conception pro-sexe de la liberté, ce qui vaut à la version dominante du libéralisme politique favorable à l'émancipation féminine les critiques des féminismes queer ou du travail du sexe.

En effet, s'il se rapproche du féminisme radical par sa vision de l'égalité devant la loi des hommes et des femmes et d'une dignité fermée à certains rôles socio-sexuels que ce soit avec la prostitution ou la religion, il est fondé selon le féminisme radical sur l'idée erronée et trompeusement complice du capitalisme oppressif que toutes les femmes seront de fait égales en tant qu'individus entre elles et avec les hommes si cela est légalement proclamé. Le féminisme libéral a été porté par des femmes privilégiées en termes socio-économiques ou autres qui ont en même temps, au cœur des paradoxes, appréhendé les femmes, et au-delà les êtres humains, comme un groupe trop homogène - dans les conditions de départ - pour détruire le patriarcat ordinaire et surtout les autres discriminations, et porter une intersectionnalité totalement égalitaire en fait dans la revendication de participer politiquement. En fait, si ses théories ont popularisé la notion de sexisme ou d'antisexisme, ce qui est un vaste succès de leur entreprise pour beaucoup, celle de patriarcat leur est nettement plus étrangère. Aujourd’hui, dans la lignée du libéralisme économique et de la mondialisation, les féministes libérales croient que l’entrée des femmes sur le marché du travail est la solution pour émanciper les femmes des pays jusque-là en marge des échanges globalisés, mais ne défendent pas une vraie égalité économique de toutes et tous à l'échelle de l'individu. Ce courant féministe est de ce point de vue dominant et modéré. Les féministes libérales sont très hostiles aux communautarismes relativistes plus encore qu'aux différentialismes sexuels, et même si ces personnes disent qu'il est primordial de combattre la légitimation du sexisme par le biologique et les rôles de genre traditionnellement associés, elles ne parlent pas par exemple de discrimination systémique, comme elles croient comme en un facteur déterminant et autosuffisant au changement des mentalités de chaque individu, plutôt qu'à la nécessité première et incontournable d’un renversement du système dans son ensemble y compris du patriarcat et des faits discriminatoires qui peuvent s'y conjuguer fortement. En cela, notamment, le féminisme libéral ne se positionne pas nécessairement dans les scissions entre universalisme et différentialisme classiques, comme le libéralisme est d'autre part associé à des visions politiques externes à certains clivages.

Références

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  1. « Le féminisme libéral des Mill », dans John Stuart Mill et Harriet Taylor : écrits sur l'égalité de sexes, ENS Éditions, coll. « Les fondamentaux du féminisme anglo-saxon », (ISBN 978-2-84788-579-8, lire en ligne)
  2. Aude Lorriaux, « «Féminisme pour les 99%», le manifeste qui veut un féminisme pour toutes », sur Slate.fr, (consulté le )
  3. Viviane Albenga et Vanina Mozziconacci, « Tous les féminismes sont-ils solubles dans l’éducation ?: Hybridations théoriques et paradoxes pratiques dans un dispositif de prévention des violences sexistes », Travail, genre et sociétés, vol. n° 42, no 2,‎ , p. 127–146 (ISSN 1294-6303, DOI 10.3917/tgs.042.0127, lire en ligne, consulté le )

Bibliographie

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