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Liste Swadesh

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La liste Swadesh est une liste de mots appartenant à une partie du lexique la plus résistante au changement, établie par le linguiste et anthropologue américain Morris Swadesh, dans les années 1940-1950. Elle est utilisée en linguistique comparée, en linguistique historique et aussi en anthropologie pour notamment identifier le lexique de base de toute langue étudiée pour la première fois, ainsi qu'établir le degré de proximité de deux ou plusieurs langues.

Établissement de la liste

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Swadesh étudia de nombreuses langues, surtout une vingtaine de langues amérindiennes du Canada, des États-Unis et du Mexique. Devant faire des recherches sur des langues presque éteintes, avec des moyens limités, il éprouva le besoin d’une procédure standardisée pour rassembler des données essentielles concernant la parenté entre langues. À cet effet, il créa une liste de mots selon le postulat suivant :

Bien que des mots disparaissent de toute langue, étant remplacés par d’autres au cours du temps, certaines parties du lexique sont moins exposées au changement que d’autres. C’est pourquoi on peut définir un lexique de base se rapportant à des notions véhiculées dans toutes les langues. Les pronoms, les numéraux, certains adjectifs (« grand », « petit », « long », « court »), certains termes désignant des degrés de parenté (« mère », « père »), des parties du corps (« œil », « oreille », « tête »), des événements ou des objets naturels (« pluie », « pierre », « étoile »), des états et des actions élémentaires (« voir », « entendre », « venir », « donner ») sont peu sujets au remplacement par des emprunts.

Par exemple, le lexique général de l’anglais est emprunté à 50 % environ, mais ce pourcentage diminue à 6 % pour ce qui est du lexique de base. Ainsi, dans la liste Swadesh de 100 mots de l’anglais, il n’y a qu’un seul mot qui ne provienne pas du lexique de base proto-germanique (mountain – « montagne », d’origine française, introduit par les Normands). Un autre exemple est celui de l’albanais et du grec moderne. L’albanais a perdu 90 % de ses mots propres d’origine indo-européenne, beaucoup plus que le grec, mais si l’on considère la liste Swadesh de 100 mots, le pourcentage de pertes est à peu près égal pour les deux langues (25 à 26 %).

Pour créer sa liste, Swadesh a choisi un lexique de base que l’on retrouve dans le plus de langues possible, le plus indépendant possible de l’environnement naturel et de la culture locale. Il a commencé par une liste de 225 mots[1], qu’il a réduite plus tard à 215[2], puis à 200[3], arrivant finalement à une variante de 100 mots[4]. On utilise fréquemment une liste de 207 mots, formée de la liste de 200, plus sept de la liste de 100 absents de celle de 200[5].

Utilisation

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Mesure du degré de parenté de deux langues

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Swadesh a utilisé sa liste pour mesurer la ressemblance, c’est-à-dire le degré de parenté de deux langues, par la méthode quantitative de la lexicostatistique, en établissant le pourcentage de mots d’origine commune. Plus la ressemblance entre les lexiques des deux langues est grande, plus elles sont proches génétiquement, et plus le temps écoulé depuis le moment où elles se sont séparées est court. Selon lui, si le lexique de base de deux langues contient des mots apparentés à raison de 70 %, on peut considérer qu’elles ont évolué à partir d’une même langue. Si ce pourcentage dépasse 90 %, alors ces langues sont des parentes proches.

Établir le degré de proximité de deux ou plusieurs langues données permet ensuite d'établir, à partir d’une matrice de ressemblances quantitativement pertinentes, un dendrogramme à portée phénétiques ou cladistiques des langues comparées. L'élicitation des concepts de la liste dans un ensemble précis de langues permet donc de mesurer les distances interlinguistiques à des fins phylogénétiques.

Datation des langues d’origine (la glottochronologie)

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Dans ce but, Swadesh a pris comme postulat que le taux de perte du lexique de base initial ne change pratiquement pas, les mots étant remplacés à un rythme à peu près constant, alors que dans le cas du reste du lexique, qui est étroitement lié à des facteurs culturels, le taux de perte variant en fonction des contacts que les locuteurs ont eu avec des cultures qui leur sont étrangères. À cause de ce postulat, la méthode de datation des langues proposée par Swadesh fut comparée à la détermination de l’âge des fossiles à partir de la désintégration radioactive du carbone 14, qui est constante.

À la suite d’une recherche sur treize langues (indo-européennes pour la plupart) qui ont des attestations écrites sur une longue période, à partir de la liste Swadesh de 100 mots, on a calculé un taux de conservation de 86 % sur une période de 1 000 ans, qu’on a considéré comme constant et généralisé à toutes les langues.

Étant donné le pourcentage de mots d’origine commune et le taux de conservation du lexique de base sur 1 000 ans, le temps écoulé depuis la séparation de deux langues qui résultent d’une même langue d’origine peut être déterminé, avec une marge d’erreur calculable, selon la formule :

t = (log c) / (2 log r),

c est le pourcentage de mots d’origine commune et r – le taux de conservation.

Par exemple, si le lexique de base de deux langues est apparenté à 70 %, alors on peut considérer qu’elles ont évolué à partir d’une même langue qui a existé douze siècles auparavant.

Discussions sur la pertinence de la liste

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L’utilisation de la liste Swadesh fut contestée dès le début. On lui oppose les objections suivantes :

  • Le lexique de base n’est pas exempt d’emprunts de manière égale dans toutes les cultures. Par exemple, un objet naturel comme le soleil peut tenir du lexique religieux (tel est le cas en Asie du Sud) et, de ce fait, sa dénomination est empruntée. Par ailleurs, des mots du lexique de base peuvent devenir tabous et être remplacés par d’autres, d’une langue voisine, pour compenser l’interdiction. Le lexique de base n’est pas indépendant non plus du statut socio-culturel des locuteurs. Dans les langues dravidiennes, par exemple, dans le lexique de base, il y a relativement beaucoup d’emprunts au sanskrit, d’autant plus que le locuteur est plus instruit[6].
  • Certains mots ne se retrouvent pas dans toutes les langues, à cause de spécificités de l’environnement naturel, par exemple du climat[7]. Ainsi, les mots « neige » et « glace » sont-ils absents des langues des tropiques. Dans la liste de 207 mots il y a, de plus, des mots qui ne se retrouvent pas dans toutes les langues pour des raisons culturelles (Swadesh lui-même a réduit sa liste à cent mots).
  • Un mot peut avoir pour correspondant dans une autre langue non pas un mot, mais plusieurs mots, voire des affixes, parmi lesquels il faut choisir, ce qui rend plus arbitraire la comparaison des langues[8].
  • Il est fort peu probable que le taux de conservation soit constant pour toutes les langues et à toutes les époques[7]. Dans des conditions particulières qui tiennent de l’isolement du groupe de locuteurs, de sa cohésion sociale, de l’éventuelle observation d’une norme littéraire ou religieuse, ce taux peut varier considérablement[9]. Un exemple d’Europe est celui de l’islandais, langue d’une stabilité exceptionnelle, ce qui invalide partiellement la méthode, infirmant son universalité. En effet, le taux de perte de l’islandais n’est que de 4 %, alors que celui du norvégien littéraire est de 20 %, bien que ces deux langues soient très proches génétiquement l’une de l’autre[10].
  • L’identification des mots apparentés est problématique. Lorsqu’on applique la technique de la lexicostatistique, à défaut d’une autre possibilité, sur une aire géographique très étendue et sur des centaines de langues pour lesquelles l’information est très lacunaire, les descriptions étant partielles et récentes, il est impossible, faute de matière première, d’établir les lois des changements phonétiques. De ce fait, l’élimination du lexique emprunté, qui devrait se fonder sur la connaissance de ces lois, est très difficile. Par conséquent, l’identification du lexique réellement apparenté et, donc, hérité en parallèle, est problématique.
  • L’identification des mots apparentés est en général aléatoire[9]. Des mots très différents peuvent avoir la même origine, par exemple le mot français « chef » (au sens premier de « tête ») et le mot anglais head « tête ». Les deux proviennent de la racine indo-européenne *kauput-, *kaput-[11],[12]. En revanche, des mots qui se ressemblent peuvent ne pas être directement apparentés, par exemple le mot latin dies et l’anglais day, les deux signifiant « jour ». Le mot latin a pour origine *dyḗws « ciel »[13], et l’anglais – *dʰegʷh- « brûler, brûlant »[14]. Un autre exemple de ressemblance sans fondement est le latin habere et l’allemand haben « avoir ». L’origine du mot latin est *gʰh₁bʰ- « prendre »[15] et celle du mot allemand – *keh₂p- « saisir, attraper »[16].

Malgré les objections, on reconnaît que la liste Swadesh et la lexicostatistique peuvent servir pour les investigations linguistiques de base, dans les situations où ni les techniques comparatives classiques ni la reconstitution interne ne sont praticables, ce qui était d’ailleurs l’idée de départ de Swadesh[7], ou comme simple outil de classification génétique préliminaire en anthropométrie[17],[18].

Un exemple d’une telle situation est celui où l’on ne dispose que de listes incomplètes de lexique, comme dans le cas de groupes de langues très grands, récemment attestées, telles les langues austronésiennes (1 000 environ) ou celles des aborigènes d'Australie (autour de 250). Pour de telles langues, la liste Swadesh peut être utilisée pour faire une première ébauche de leur répartition en groupes et sous-groupes, servant de point de départ pour une investigation historique à part entière, qui continue les classements et les reconstitutions.

Développements de la liste Swadesh

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À partir des mêmes principes, d’autres linguistes ont à leur tour élaboré des listes de lexique de base, en éliminant des mots de la liste Swadesh et en introduisant d’autres mots et/ou sens. Un exemple est la liste de 114 sens proposée par une équipe de l’Université russe d’État de sciences humaines[19], qui se trouve à la base du projet Global Lexicostatistical Database (Base de données lexicostatistique globale) (GDL)[20]. Une autre base de données de ce genre est Indo-European Lexical Cognacy Database (Base de données de mots apparentés indo-européens), à laquelle travaille une équipe de l’Institut de psycho-linguistique Max-Planck de Nimègue (Pays-Bas)[21], à partir d’une liste de 200 mots proposée par Isidore Dyen[22].

Liste Swadesh de 207 mots du français

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Les mots en gras figurent également dans la liste de 100 mots.

  1. je
  2. tu, vous (formel)
  3. il
  4. nous
  5. vous (pluriel)
  6. ils
  7. ceci, celui-ci
  8. cela, celui-là
  9. ici
  10. qui
  11. quoi
  12. quand
  13. comment
  14. ne ... pas
  15. tout
  16. beaucoup
  17. quelques
  18. peu
  19. autre
  20. un
  21. deux
  22. trois
  23. quatre
  24. cinq
  25. grand
  26. long
  27. large
  28. épais
  29. lourd
  30. petit
  31. court
  32. étroit
  33. mince
  34. femme
  35. homme (mâle adulte)
  36. homme (être humain)
  37. enfant
  38. femme (épouse)
  39. mari
  40. mère
  41. père
  42. animal
  43. poisson
  44. oiseau
  45. chien
  46. pou
  47. serpent
  48. ver
  49. arbre
  50. forêt
  51. bâton
  52. fruit
  53. graine
  54. feuille (d'un végétal)
  55. racine
  56. écorce
  57. fleur
  58. herbe
  59. corde
  60. peau
  61. viande
  62. sang
  63. os
  64. graisse
  65. œuf
  66. corne
  67. queue (d'un animal)
  68. plume (d'un oiseau)
  69. cheveux
  70. tête
  71. oreille
  72. œil
  73. nez
  74. bouche
  75. dent
  76. langue (organe)
  77. ongle
  78. pied
  79. jambe
  80. genou
  81. main
  82. aile
  83. ventre
  84. entrailles, intestins
  85. cou
  86. dos
  87. poitrine
  88. cœur (organe)
  89. foie
  90. boire
  91. manger
  92. mordre
  93. sucer
  94. cracher
  95. vomir
  96. souffler
  97. respirer
  98. rire
  99. voir
  100. entendre
  101. savoir
  102. penser
  103. sentir (odorat)
  104. craindre
  105. dormir
  106. vivre
  107. mourir
  108. tuer
  109. se battre
  110. chasser (le gibier)
  111. frapper
  112. couper
  113. fendre
  114. poignarder
  115. gratter
  116. creuser
  117. nager
  118. voler (dans l'air)
  119. marcher
  120. venir
  121. s'étendre, être étendu
  122. s'asseoir, être assis
  123. se lever, se tenir debout
  124. tourner (intransitif)
  125. tomber
  126. donner
  127. tenir
  128. serrer, presser
  129. frotter
  130. laver
  131. essuyer
  132. tirer
  133. pousser
  134. jeter, lancer
  135. lier
  136. coudre
  137. compter
  138. dire
  139. chanter
  140. jouer (s'amuser)
  141. flotter
  142. couler (liquide)
  143. geler
  144. gonfler (intransitif)
  145. soleil
  146. lune
  147. étoile
  148. eau
  149. pluie
  150. rivière
  151. lac
  152. mer
  153. sel
  154. pierre
  155. sable
  156. poussière
  157. terre (sol)
  158. nuage
  159. brouillard
  160. ciel
  161. vent
  162. neige
  163. glace
  164. fumée
  165. feu
  166. cendre
  167. brûler (intransitif)
  168. route
  169. montagne
  170. rouge
  171. vert
  172. jaune
  173. blanc
  174. noir
  175. nuit
  176. jour
  177. an, année
  178. chaud (température)
  179. froid (température)
  180. plein
  181. nouveau
  182. vieux
  183. bon
  184. mauvais
  185. pourri
  186. sale
  187. droit (rectiligne)
  188. rond
  189. tranchant
  190. émoussé
  191. lisse
  192. mouillé, humide
  193. sec
  194. juste, correct
  195. près
  196. loin
  197. droite
  198. gauche
  199. à
  200. dans
  201. avec (ensemble)
  202. et
  203. si (condition)
  204. parce que
  205. nom

Notes et références

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  1. Swadesh 1950, p. 161.
  2. Swadesh 1952, p. 456-457.
  3. Swadesh 1955.
  4. Swadesh 1971, p. 283.
  5. ComparaLex.
  6. Sjoberg 1956.
  7. a b et c Strazny 2005.
  8. Hoijer 1956, p. 53.
  9. a et b Kálmán 2007, p. 118.
  10. Bergsland 1962.
  11. Wiktionary, article chef.
  12. Wiktionary, article head.
  13. Wiktionary, article dies
  14. Wiktionary, article day.
  15. Wiktionary, article habeo
  16. Wiktionary, article haben.
  17. (en) J. Vansina, « New linguistic evidence and the Bantu expansion », Journal of African History, 1995, vol. 36, no 2, p. 173-195
  18. (en) I. Ribot, « Differentiation of modern sub-Saharan African populations: craniometric interpretations in relation to geography and history », Bulletins et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris, vol. 16, nos 3-4,‎ (lire en ligne)
  19. Kassian 2010.
  20. Global Lexicostatistical Database.
  21. Evolutionary Processes in Language and Culture (Processus d’évolution en langue et culture).
  22. Dyen 1992.
Une catégorie est consacrée à ce sujet : Listes Swadesh dans Wikipédia.

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Bibliographie

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Articles connexes

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